Pour être pérennes, les organisations d’aujourd’hui sont contraintes à développer l’innovation, l’adaptation, la réactivité aux fluctuations, l’engagement et la santé de leurs équipes; l’entreprise agile est-elle une piste utile? Oui… mais avec quelques limites quant à son application.
Par Vincent Blanc (article adapté de “Entreprises libérées, la fin de la souffrance au travail ?” à relire ici : https://www.ismatgroup.com/entreprises-liberees-la-fin-de-la-souffrance-au-travail/ )
Agile, mais de quoi parle-t-on au juste?
Comme nous le rappelle Vincent Blanc, CEO Ismat Group entité dont fait partie La Clinique du Travail, une organisation agile se décline autour de 3 piliers:
- Une raison d’être et une vision clairement énoncées et communiquées par les dirigeants. «Pourquoi sommes-nous là?»
- Une capacité d’action forte, issue de la vigilance, l’adaptation et la réactivité.
- L’autonomie des collaborateurs, orientée sur la vision.
Mais attention:
Autonomes ne veut pas dire «électrons libres»! Pour que les modèles d’entreprise libérée fonctionnent, il faut une autonomie encadrée par le collectif. En soi: une autonomie des équipes plutôt qu’une autonomie des individus. Il s’agit aussi de définir sur quoi porte l’autonomie accordée: Sur les conditions de travail? Sur le contenu du travail? Sur l’organisation? Sur la stratégie? Et encore, quels seront les indicateurs, essentiels pour mesurer les résultats du travail?
Fin de la surveillance… mais début de la vigilance
Si, au nom de la liberté, on supprime la notion de «surveillance», on garde par contre la maîtrise d’un cadre structuré. En mettant en place l’agilité, c’est de vigilance dont on doit faire preuve. Donner du pouvoir aux équipes suppose des rôles et des règles de fonctionnement clairs et un bon alignement à la vision et aux valeurs définies.
Plus on distille de l’agilité dans la liberté, plus il faut être vigilant sur la vision partagée, sans quoi le modèle risque de partir dans tous les sens. Il faut que tout le monde soit aligné sur le pourquoi cette agilité, le comment elle s’opère, afin que ce modèle de management puisse s’appliquer de manière cohérente et saine. Plus le cadre d’application est “solide” au sens de clairement défini et stable, plus l’autonomie sera grande, tout en restant sécurisante. On écoute, on échange, on débat, on s’accorde.
Alors oui, inévitablement, les modèles d’organisation agile mettent en lumière les enjeux de pouvoir et d’autorité. Or, il est difficile pour certains managers de partager le «pouvoir» s’ils ont le sentiment d’abandonner ainsi leur raison d’être. Mais l’expérience de terrain l’atteste: sans remise en question personnelle de la part de ces derniers et sans vision des gains de la nouvelle posture managériale, il y a peu de possibilités de faire évoluer les mentalités et les pratiques.
Quels gains et limites à plus d’agilité?
Les exemples d’entreprises favorisant plus d’agilité sont de plus en plus nombreux sur le terrain, que ce soit au niveau global de l’entreprise ou au niveau d’entités spécifiques au sein de l’organisation. Performance améliorée, processus de décisions simplifiés permettant l’action rapide, créativité accrue, taux d’absence en baisse… Si les liens de cause à effet entre les résultats et les modèles d’agilité ne sont pas encore étayés par des études, les succès sont pourtant visibles.
Mais tout n’est pas, pour le moment, idyllique. Certaines structures ayant opté pour ce type de management ont dû revenir en arrière, notamment lors du changement de certains dirigeants. Pourquoi? Vincent Blanc nous explique les principaux écueils rencontrés:
- L’ego de certains managers qui ne sont pas alignés avec les valeurs et pas prêts à changer de posture
- Un cadre mal ou non défini qui mène à l’anarchie ou à l’insécurité et à la surcharge mentale de certains collaborateurs.trices
- Un terrain dysfonctionnel ou non propice au déploiement de ce modèle (ex: crise aiguë au sein de l’équipe)
Distiller, tester, éprouver l’agilité… par paliers successifs
Qu’importe le modèle, une chose est sûre: vouloir révolutionner du tout au tout la manière de manager les équipes, les habitudes parfois profondément ancrées, les process en place, provoque – à coup sûr – un séisme beaucoup trop important pour être sereinement compris et absorbé… et donc l’échec du modèle avant même d’en voir les effets concrets!
À l’agilité s’ajoute la notion de flexibilité. Si l’entreprise doit mobiliser mieux les ressources pour plus d’agilité, cela signifie que ce sont les collaborateurs et collaboratrices qui vont devoir être davantage mobilisé.e.s, à qui l’on va demander plus pour répondre à ce modèle agile. Face à cet effort collectif, l’entreprise doit, de son côté, fournir plus de flexibilité comme des horaires flexibles, etc. C’est cela qui va réellement mener à l’équilibre dans l’application du modèle et donc, à sa réussite. Un cadre rigide, traditionnel, et un modèle dit agile sont antinomiques! Les employeurs doivent avoir conscience de cela et agir en conséquence.
Une fois cela entendu, l’un des solutions de mise en œuvre, parmi les plus convaincantes, est celle dite par palier. Le modèle agile, avec une volonté à terme d’être déployé globalement, peut dans un premier temps être enclenché à partir d’une entité «test», puis petit à petit s’élargir – ou non selon les résultats obtenus – à d’autres groupes.
Il faut agir par grappe, pour ensuite contaminer le reste de la structure. On ne doit pas brandir l’argument de l’équité, mais avoir conscience que les gens sont différents, et face à un système qui repose sur l’autonomie et l’engagement des individus, il est complètement naïf et illusoire d’envisager une uniformité totale! L’entreprise ne peut pas avoir un seul modèle et peut se retrouver, finalement, avec plusieurs exemples de management dans différentes grappes. Or, cela peut être une source de sentiment d’iniquité de la part des équipes. Mais, encore une fois, croire que l’agilité sera LE modèle applicable à toute la structure et applicable de la même manière dans tous les sous-groupes est un leurre.
À cette mise en œuvre progressive, l’adaptabilité en second temps des dirigeants aux échos du terrain est donc tout aussi primordiale. On pourra donc avoir une entité très réceptive à l’agilité, tandis qu’une autre (pour des raisons diverses et variées), très réfractaire.
Agilité et souffrance au travail: quel lien?
Une chose est sûre. Ces modèles, dits “agiles”, sont la seule option aujourd’hui pour la survie des entreprises, petites, moyennes, comme grandes, publiques et privées. Car le vrai enjeu de l’entreprise agile est l’engagement des gens et donc la baisse des absences et de la souffrance au travail.
À retenir
Il ne semble donc pas y avoir de modèle de management “magique”, car il y a toujours des problèmes qui se posent, dans une entreprise agile, comme dans les modèles traditionnels. Le constat est souvent le même: la Direction décide d’un type de management ou d’un autre, sur des critères pouvant être la mode du moment, le côté novateur, l’envie d’essayer de contrer une problématique x ou y, le recrutement de nouveaux managers arrivant avec leur idée du management, etc.
La réflexion devrait d’abord venir de: “Pourquoi veut-on changer de manière de faire?”, car un problème de climat ne se résout par un changement de management (sauf si la corrélation a été faite au préalable, via un audit par exemple)! La surcharge ne se régulera pas par la suppression des horaires, il en va de même pour les absences.
Une fois l’agilité considérée comme étant une option raisonnable, ne pas oublier que celle-ci s’accompagne de plusieurs choses:
- Sécurité (agilité ne veut pas dire anarchisme, il faut conserver une structure sécurisante);
- Flexibilité (un cadre de travail rigide est antinomique avec le modèle agile, il faut pouvoir apporter aux équipes, davantage mobilisées par le modèle, plus de latitude dans les horaires, les temps de repos, etc.);
- Adaptabilité dans la mise en application, en ayant conscience dès le départ que l’agilité se distille par grappes, et que plusieurs modèles d’agilité ou d’autres types de management peuvent cohabiter au sein d’une même structure;
- Sans oublier la vigilance dont il faut faire preuve quant à la vision partagée (la manière dont les collaborateurs-rices perçoivent et ressentent cette agilité).
L’effet de mode a l’avantage de faire réfléchir sur ces nouveaux concepts, mais une certaine maîtrise de leur application est primordiale.